mercredi 2 juillet 2008

LES VACANCES EN COLO OU A LA CAMPAGNE

Photo de l'ensemble des colons en 1954 avec les monitrices et personnel de la colo (sœurs en cornette et encadrement).













Dans les années 54, 55 et 57, mes parents nous envoyèrent en colonie de vacances avec la paroisse de Trélazé. Comme les colonies à l'époque n'étaient pas mixtes, les filles, nous y allions en Juillet et le mois d'août était réservé aux garçons. Cette colonie était située à Saint-Brévin-l'Océan en Loire Inférieure (devenue Loire Atlantique) au milieu des pins du lieudit l'Hermitage. J'ai toujours détesté la vie de groupe donc vous pouvez imaginer mon état d'esprit lors des départs mais, bon gré, mal gré, j'étais obligée.
Nous partions dans un autocar un peu bringuebalant qui supportait toute les valises rangée sur le toit.
J'avoue que je ne me souviens plus des monos qui nous encadraient et encore moins des filles qui étaient avec moi, sauf une : Dominique, une espiègle qui avait des cheveux bouclés très beaux que je lui enviais. La discipline y était un peu militaire avec des sœurs en cornette qui nous encadraient et surtout , nous étions toutes habillées avec le même uniforme : un peu comme les scouts avec le foulard en moins. Nous avions une jupe bleu marine, un corsage bleu ciel, un béret bleu marine sur lequel nous accrochions un insigne.

Pour le pique-nique, à la main gauche, le "quart" en alu et le canif toujours accroché à la ceinture
Avec cet accoutrement, nous allions à la plage, en rang , deux par deux en chantant à tue-tête :


- " un kilomètre à pied ça use, ça use, un kilomètre à pied ça use les souliers, deux.." ou bien :
"as-tu connu Pipo, Pipo quand il était militaire, as-tu connu Pipo, Pipo quand il était matelot, il allait en vélo Pipo quand il était militaire, il allait en vélo Pipo quand il était matelot et OPP ! Pipo quand il était militaire et Opp ! Pipo quand il était matelot il faisait de la moto, Pipo quand il était m…."

ou l’inévitable :" dans la troupe ya pas de jambe de bois, ya des nouilles mais ça ne se voit pas, la meilleure…"
ou bien encore : "Ma poule n'a plus que vingt-neuf poulets (bis)
  1. Elle en a eu trente, elle en a eu trente
Et allongeons la jambe, la jambe car la route est longue (bis)...


Bien sûr, tout ceci était très entraînant et il n'y avait pas de traîne-savates. D'ailleurs, à part le vieux bazar de l'Hermitage, il n'y avait pas de quoi faire du lèche-vitrines. Enfin, tout de même, on enlevait l'uniforme à la plage pour se mettre en maillot de bain : c'était la seule occasion qui nous était donnée dans la journée de l'enlever.

Je me souviens des jeux de piste, des jeux de foulard organisés par les monos et du traditionnel feu de camp qui clôturait la fin du séjour.

 Après les repas, nous étions de corvée, à tour de rôle selon les tablées, corvée de vaisselle, de nettoyage de table ou du sol.
Un soir que nous rentrions d'une promenade à St-Michel-Chef-Chef, c'était presque entre "chien et loup"nous étions toutes en débandade dans un chemin creux et quelques filles avaient pris la tête en marchant devant nous presque avec une allure martiale pour rentrer à la colo quand, tout à coup, elles ont été surprises de frayeur par deux énormes silhouettes dressées derrière un rideau d'arbre dont les yeux les fixaient dans l'obscurité du soir : ils s'agissait en réalité de deux grosses vaches laitières qui broutaient bien calmement en regardant défiler notre "troupeau". Courageuses mais pas téméraires, les filles qui avaient pris la tête étaient moins hardies ensuite : les monos ainsi que les religieuses qui nous accompagnaient durent nous remettre en ordre de marche, c'est-à-dire en rang deux par deux mais nous à l'arrière on rigolait bien en douce.

Le soir, à la veillée, nous allions quelquefois voir le cinéma installé sommairement dans une salle du bâtiment près de la chapelle. En fait de cinéma, c'était une simple toile blanche tendue sur le mur et la mise en route demandait du temps car le projecteur avait quelquefois des ratés. Le son n'était pas très bon mais ce n'était pas grave car il n'y avait pratiquement jamais de "cinéma parlant" beaucoup étaient des films de Charlot qui nous amusaient.
Je me souviens surtout de la senteur des œillets marins dans les dunes, une senteur que je n'ai jamais retrouvée depuis.
La mémoire est très sélective et normalement ne garde que le meilleur des choses - heureusement ! aussi, je me souviens que lors d'un séjour à la colo, je suis tombée malade, je n'étais pas très gravement malade mais contagieuse. Aussitôt ce fut le branle-bas de combat avant que je n'ai eu le temps de dire "ouf !" l'intendant est venu me chercher, m'a enveloppée de mes draps et m'a transportée comme un baluchon. J'ai atterri dans une petite chambre faisant office d'infirmerie : là, j'étais chouchoutée mais en quarantaine.


La plage de Saint Brévin l'Océan devant le Casino.





peinture sur bois de Christiane Choisnet
copie d'un tableau "COUP DE VENT DANS LA MANCHE" d'Antoine Chintreuil


Quand je n'allais pas à la colo, mes parents m'envoyaient généralement chez ma tante en vacances dans une ferme. Là, c'était le bon temps des vacances avec ses souvenirs ineffables, la campagne m'entourait, c'était la découverte des champs, des bois, des prés humides où j'ai découvert ces jolies fleurs que l'on appelait "goganes" et qui étaient en fait des fritillaires pintades que nous cueillions par brassées. Là, j'étais plongé dans l'univers animé de la ferme et de ses animaux où tout était spectacle et invitation à découvrir un tas de choses.




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les jolies goganes


Les grandes vadrouilles par les chemins avec mes deux cousines, la cueillette des fleurs, les balades en vélo sur les chemins de campagne... quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins à bicyclette...

Chaque matin, avec ma cousine la plus jeune, nous étions encore au lit car nous dormions tous dans la même chambre avec les parents ; seuls les garçons dormaient dans deux lits de coin dans la pièce de vie avec un vieux commis qui s'appelait Désiré et que tout le monde avait baptisé "Désir". Donc, nous étions les seules à paresser le matin et nous entendions le son cristallin de la baratte se mettre en action. Les femmes pétrissaient la crème pour en faire de belles mottes de beurre que ma tante entreposait dans un garde manger situé dans le foyer de la cheminée de la chambre. Nous entendions aussi la grosse comtoise au large balancier frapper lourdement ses coups. Elle était également dans la grande pièce entre les deux lits de coin.


A la ferme, on achetait des pains de six livres à une boulangère ambulante qui ne passait qu'une fois la semaine. Ils étaient ainsi conservés dans une huche à pain. J'aimais les grandes tartines beurrées du bon beurre des Brosses. Je n'ai jamais retrouvé un tel goût ! C'est à l'occasion de mes vacances à la ferme que j'ai appris à aimer la soupe au vin la "mieutée" que tout le monde avalait quand il faisait chaud après les battages souvent. C'est une soupe au pain trempée dans du vin rouge et saupoudrée de sucre : très frais à la belle saison. Dans certaines régions du sud, certains préfèrent "faire chabrot".

Ma tante faisait cuire les repas jusque vers la fin des années 50 dans l'âtre d'une grande cheminée qui nous brûlait le visage quand on attisait le feu avec un soufflet. Mais nous aimions respirer sa fumée âcre, le soir quand on déposait les bûches avant que les braises ne s'éteignent.

A la tombée de la nuit, quand chacun avait accompli sa besogne, tout le monde se rassemblait solennellement autour de la longue table sous la lampe à huile. Les hommes se lavaient les mains dans une cuvette en zinc dans la cour avant de s'installer et mon oncle occupait une extrémité de cette longue tablée comme une présidence. Il saisissait en premier la miche de pain posée sur la table sur laquelle il dessinait une croix. Si les convives étaient trop nombreux ce qui arrivait quelques fois car c'était en quelque sorte "la maison du bon dieu", les femmes s'asseyaient en cercle autour de l'âtre, elles mangeaient sur leurs genoux tout en servant les convives. Chaque homme commençait le repas en sortant le couteau de sa poche qui était généralement un Coursolle à la lame bien affutée.

Puis, au début des années 60, la gazinière fit son apparition à la ferme, fini les lourdes cocottes en fonte noires de suie, une révolution culinaire s'amorça puis petit à petit, les menus ont changé au profit d'un nouveau mode de vie.

Les "laitières" rentraient le soir à l'étable, après s'être longuement abreuvées dans la mare située au fond de la cour, elles s'acheminaient d'elles-mêmes à la place qui leur était attribuée, le naseau dégoulinant de la dernière lampée.



La nuit tombée, nous allions dans l'étable à la lueur d'une lampe tempête et nous assistions à la traite des vaches qui se faisait encore à la main ainsi qu'à la tétée des petits veaux. Nous étions accueillies par des laitières voluptueusement étalées sur leur litière. Avant d'arriver à l'étable, on percevait déjà les bruits de chaîne. La traite était tout un cérémonial qui consistait dans un premier temps à distribuer du foin dans les râteliers afin de les distraire. Puis les femmes s'asseyaient sur un tabouret, la tête appuyée contre le flanc tout en leur parlant doucement de manière à les rassurer et en prenant la précaution au préalable d'attacher la queue au jarret le plus proche car certaines avaient la mauvaise habitude d'envoyer un coup de queue dans la figure de la trayeuse. J'aimais entendre le son du lait gicler avec ardeur au fond de la seille en fer étamé. Quand celle-ci était pleine, elle était vidée dans un bidon à couvercle. Attirés par l'odeur de lait frais, les chats accouraient en miaulant afin de montrer qu'ils attendaient eux aussi leur ration. Ils se dressaient sur leur patte de derrière pour laper le fond des seilles.




Nous respirions un mélange complexe d'odeurs diverses de bouses de vaches fumantes, de bottes de foin étalées dans les râteliers, de lait chaud renversé dans des seaux en fer étamé. Une bonne odeur campagnarde : autre chose que celle que l'on respire quand les agriculteurs d'aujourd'hui étalent leurs lisiers pestilentiels ! Accompagner les vaches en pâture ne posait aucun problème car elles étaient menées par une chien berger allemand "Diane" qui était vraiment un excellent berger. Elle connaissait les limites des prés et les chemins qui conduisaient aux pâturages et elle aurait pu seule les emmener aux champs ; d'ailleurs, de temps en temps mes cousines lui abandonnaient la surveillance du troupeau . Diane ne se trompait jamais lorsqu'elle partait aboyer au mufle de celle dont on lui criait le nom.

Les vaches changeaient régulièrement de pâturage et je suis toujours surprise de constater, de nos jours, dans le même village sarthois où je réside que des vaches restent à longueur d'année et nuit et jour dans la même herbe du même champ ! Et toujours franchement aussi dégoûtée aujourd'hui de voir dans le village voisin de R.... des fermes que je qualifierais de "sales" aux cours souvent boueuses ou recouvertes de toutes sortes d'objets hétéroclites (vieux engins agricoles, voire même carcasses de vieilles voitures), aux chemins d'accès crottés, sans fleurs, sans attrait rien à voir avec la ferme des Brosses si coquette, si animée, partout la propreté régnait et elle était pleine de vie : de la vie d'une ferme dans ses activités.


Aux Brosses, chacune des vaches avait son nom et réagissait à son nom : Pâquerette, Blanchette, Noiraude, Bergère, Comtesse, Dragonne ... elles ne manifestaient jamais aucune méfiance ni aucune crainte envers quiconque.
Sans doute n'ont-elles malheureusement jamais dû manifester aucune méfiance car encore pendant cette période peu glorieuse de l'occupation, les vaches de ma tante ont failli finir entre les mains de malhonnêtes gens à l'actif du marché noir et sans doute promises à un abattage clandestin. En effet, mon oncle et ma tante, en pleine nuit, réveillés par des bruits anormaux, sont sortis "in extrémis" pour les voir toutes précipitées dans la cour attelées par les cornes et prêtes à être dirigées dans un camion qui a pris la fuite avant de pouvoir emmener tout le bétail. Un peu plus tard, ils ont été sortis également de leur sommeil par des craquements sinistres pour découvrir tous les greniers à foin brûler ainsi que toute la charpente allumés sans doute par une main en mal de vengeance. Ma mère qui les a assistés dans leur désarroi ma souvent parlé de ces méfaits.





Nous allions donner à manger à la nombreuse volaille qui, dès le soleil couchant, roupillaient sur leur perchoir dans un étroit poulailler dont les poutres étaient couvertes de toiles d'araignées. Leur perchoir était fait d'une échelle de coudrier. Nous par contre, nous aimions grimper par l'échelle installée en permanence près de l'étable en haut duquel on se préparait à sauter de l'autre côté dans le grenier à foin. Le foin quand il n'était pas encore tassé nous voyait s'enfoncer délicieusement et nous riions de plaisir.

Le "meilleur" du bon temps des vacances à la campagne c'était les journées de
battage, nous on disait les "batteries".
Elles commençaient tôt le matin, la batteuse étant souvent arrivée la veille dans la cour
derrière la ferme, près des hangars. La courroie croisée sur le flanc de la batteuse prenait sa course et tous les mécanismes se mettaient en branle.
Branle-bas de combat aussi dans la cour et pour nous il n'était plus question de "grasse-matinée" car dans un vacarme assourdissant, tout le monde s'affairait et les hommes parlaient fort pour se faire entendre.

Dans la matinée très lumineuse et, au fur et à mesure que le soleil montait haut dans le ciel, on ne voyait plus de l'aire de battage qu'un épais nuage de poussière dans lequel des silhouettes se mouvaient.

A la pause du matin, déjà, les hommes étaient tout ruisselants de sueur, le casse-croûte rapidement avalé, ils repartaient tandis que la batteuse dévorait les gerbes de blé.

Le soir, la table était dressée pour tous les travailleurs et le cidre ou le vin remplissait les carafes. On ne distribuait pas de couteau aux hommes : chacun en possédait un. Les plaisanteries pendant le repas s'encanaillaient et les rires tombaient en cascade. Dans la chaleur moite, le brouhaha, les rires, les odeurs fortes, le repas s'achevait mollement et chacun repartait heureux d'une bonne journée de labeur.











Un soir, nous sommes allés à Ingrandes-sur-Loire à une assemblée où se produisait un groupe de jeunes gens qui chantaient un peu comme les Compagnons de la Chanson : "Les Gitans de la Tourlandry". J'ai découvert récemment que ce groupe dont les membres ont sûrement vieilli se produit dans la France entière.
Belles vacances aux joies simples, c'est peut-être là que j'ai découvert la vraie vie proche de la nature !



Ingrandes sur Loire
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