jeudi 3 juillet 2008

LE QUOTIDIEN A LA CITE DES TELLIERES

Le Profac ou l'ancienne fabrique d'allumettes

Aux Tellières, maman était "buandière" notamment chez les commerçants du quartier pour "mettre du beurre dans les épinards" . Elle faisait donc la lessive ce qui était déjà un travail fort ingrat pour les ménagères de l'époque : laver son propre linge sale c'est une chose mais aussi celui des autres dans de l'eau glacée l'hiver c'est vraiment très désagréable.

Après avoir séparé le linge de couleurs du linge blanc (torchons, serviettes et draps), elle mettait celui-ci à bouillir dans une lessiveuse qui généralement était placée sur un feu à l'intérieur des buanderies. Elle brossait énergiquement le linge blanc sur une table en bois à l'aide d'une brosse à chiendent et qu'une fois propre elle mettait ensuite à tremper dans un baquet d'eau claire. Pendant ce temps, elle s'occupait du linge de couleur qu'elle plaçait dans l'eau chaude de la lessiveuse et qu'elle brossait de la même façon avec la brosse à chiendent. Venait ensuite le rinçage à l'eau claire (dans plusieurs eaux) avant d'être tordu pour en évacuer l'eau.


 


Je peux dire comme dans la chanson des "Corons" de Pierre Bachelet "qu'elle était mon enfance et qu'elle était heureuse dans la buée des lessiveuses".

Ma mère a ensuite travaillé au café-restaurant des Tellières où elle a fait des "extras" comme cuisinière car c'était un fin cordon bleu. Plus tard, au début des années 60, elle fit des heures de ménage au Profac et finit par se faire embaucher à la Maison de Retraite de Trélazé. 



 

la gare de Montrelais au début du siècle dernier

Ma mère était très courageuse et rien ne la rebutait. Elle n'avait pas choisi d'être laveuse, ni femme de ménage, ni bonne de café. Elle n'avait pas choisi de naître à la campagne, juste à la veille du premier conflit mondial près de Montrelais dans le pays d'Ancenis et loin d'un bourg où il fallait se rendre à l'école. Elle n'avait pas choisi d'être l'aînée de cinq filles et de devoir gagner sa vie très tôt comme il était d'usage à l'époque.

Or, en 1958, la société de consommation pointait timidement le bout de son nez et il faut dire que mon frère et moi allions bientôt faire notre rentrée en sixième et que, même avec une bourse, les études coûtaient.

Dans le fond du jardin, on avait aménagé un poulailler où régnait la basse-cour. Le soir, les poules étaient enfermées dans un petit local où elles dormaient perchées sur une échelle en bois de châtaignier.
Le matin, elles étaient sorties dans un enclos grillagé où elles mangeaient leur pitance : de la graine que maman leur donnait ainsi que quelques déchets du jardin (salade, etc). Quand on tuait une poule, j'étais toujours là pour assister au plumage. Ma mère ouvrait le ventre et me montrait les petits œufs qui étaient prêts à venir. Mes parents adoraient leur poule au pot le dimanche avec les légumes du jardin ce qui donnait un bon bouillon.

Mes parents élevaient aussi des lapins dans des clapiers grillagés confectionnés par mon père. Nous les regardions, enfants, par le grillage surtout quand les mères avaient des portées. Quand ils étaient suffisamment gros, ils étaient sacrifiés. Ma mère les suspendait alors dans un coin de la buanderie par les pattes arrières et leur enlevait délicatement la peau en tirant dessus très doucement. Elle laissait ensuite sécher la peau dans un coin abrité du jardin et, régulièrement une marchande de peaux de lapins passait dans la cité en signalant bruyamment sa présence par des "Peaux de lapins, Peaux !". Nous, les enfants nous accourions en brandissant notre trophée et elle nous donnait quelques sous en échange des peaux qu'elle accrochait à son guidon. Le guidon et le porte-bagages de son vieux vélo étaient surchargés de ses achats payés sou à sou maison après maison.





Marchand de Peaux de lapins dans les années 50 

Mon père aimait le Tour de France comme d'autres aiment la bonne chère ou le bon vin. Il écoutait chaque jour, l'oreille collée sur le poste TSF, le commentateur sportif Georges Briquet qui parlait vite ce qui donnait du rythme à ses interventions. Pendant les mois de juillet, dans les années 50, le soir à la fraîche, dès qu'il voyait son voisin Gilbert flâner dans son jardin, mon père posait l'arrosoir et tous deux refaisaient l'étape du jour par-dessus le mur mitoyen en pierres ardoise. Ils se passionnaient pour les exploits des Bobet, Koblet, Kubler et Darrigade. Plus tard vers 1957, ils riaient aux plaisanteries d'Hassenforder et de Caput mais  furent consternés quand Bahamontes, semé par le peloton et déçu de se retrouver seul, mit pied à terre dans les collines jurassiennes. L'Aigle de Tolède finit le tour dans cette camionnette sinistre hérissée d'un balai de jonc dans la solitude qui accompagne le calvaire de ceux qui abandonnent. Quelques jours plus tard, des photos dans la presse sportive montraient le coureur espagnol sur un quai de gare tournant le dos à l'objectif comme l'artiste qui tire sa révérence, la valise dans une main et le vélo dans l'autre, exprimant l'ingratitude au service des "forçats de la route". De sa démarche chaloupée, il prenait le premier train en direction de Dunkerque pour rejoindre ensuite l'Espagne. Mon père en était tout ému.   

Ci-dessous Fédérico Bahamontes quitte le Tour en 1959 au seuil de l'étape Dunkerque-Dieppe.


 

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