vendredi 4 juillet 2008

LES VACANCES AU PAYS DE REDON


La gloire d'être simple disait Verlaine


En juillet 1956, mes parents nous emmenèrent pour la première fois en vacances dans le pays de Redon, le "pays" de mes grand-parents paternels. O, les souvenirs délectables de ces premières vacances dans la Bretagne profonde ! Mon grand-père avait une "maison de famille", c'est-à-dire une pièce de vie qui faisait office de cuisine et de chambre en terre battue avec une grande cheminée. Il nous avait loué une maison sur le même modèle au "Chapitre", près de l'Aumonerie, au milieu des marais sur la commune de Sainte-Marie-de-Redon. C'était également une seule pièce en terre battue avec au centre une grande table avec deux bancs en bois, à chaque coin opposé à l'entrée : deux grands lits encadraient une vieille huche qui servait de vaisselier. A droite, il y avait une immense cheminée où ma mère cuisait les repas mais bien que nous fûmes en Juillet, elle fut aussi bénie des dieux, nous ayant bien souvent réchauffés car l'été 1956 fut un été "pourri" avec des températures très basses dignes d'un mois d'Octobre et nous rentrions de nos parties de pêche trempés jusqu'aux os (bien un temps à aller à la pêche !...).

Enfin, à gauche, près de la porte d'entrée, une maie qui servait de garde-manger. C'était vraiment le "retour aux sources".





 

Devant cette maison passaient régulièrement les membres d'une famille de paysans très pauvres et très frustes ; maman nous interdisait d'approcher les enfants qui, somme toute, me faisaient pitié. Si nous étions venus par le train jusqu'en gare de Redon, nos vélos nous accompagnaient dans le fourgon de queue et nous les avions retrouvés à l'arrivée pour rejoindre notre villégiature à Sainte-Marie-de-Redon. La principale activité de nos vacances était la pêche à l'anguille qui était très nombreuse dans le bassin de la Vilaine. C'était un symbole fort chez les pêcheurs surtout chez les natifs du pays redonnais. C'est sans conteste un "poisson du pays". La seule évocation de ce poisson faisait s'éclairer les visages. Ces dernières années, la civelle, qui est une jeune anguille remontant les cours d'eau comme la Vilaine, a atteint de tels prix que la pêche professionnelle de cette espèce a une importance considérable. Si, à l'époque de nos vacances redonnaises, les cours de ce poisson avaient atteint la même importance que de nos jours, nous serions devenus riches.
Nous partions en vélo le long du halage de la Vilaine, quelques fois à Painfaut ou bien alors pour des parties de pêche qui nous prenaient la journée.

l’Ile aux Pies à Bain sur Oust
 

Nous pêchions un nombre incroyable de petites civelles que nous ramenions par seaux entiers et ma mère en faisait cuire sur le grill de la cheminée. On en a mangé ! Une matelote d'anguilles, ça vaut un menu d'un bon restaurant, grillées au feu de bois de cheminée ; surtout le goût du bon feu de bois et tous les jours répétés... Bon, d'accord, il y en a qui mange des pâtes tous les jours ou du riz, il y en a même qui mange tous les jours des patates ; nous, c'était des anguilles et moi, je crois que j'ai eu ma ration pour le restant de mes jours. Bref, c'était l'occasion de manger du poisson et il fallait bien manger et surtout, il fallait bien passer le temps !...

Nous pêchions aussi mon frère et moi d'affreux poissons-chats que je n'osais pas toucher. Ils piquaient, leur tête écrasée avec leurs longues moustaches et leur dos noir gluant me procuraient un frisson de répulsion. Mais, souvent, la pêche commençait à nous "raser" un peu, alors, nous partions avec des petites filles de fermiers qui habitaient de l'autre côté de la route pour les accompagner le long du halage de la Vilaine où elles emmenaient paître leurs vaches ou bien, nous partions à bicyclette voir nos grands-parents à Epileur.

Nous allions aussi pêcher le long du canal de Nantes à Brest ou bien alors à l'Ile aux Pies. La côte était raide et mon honneur me défendait de mettre pied à terre. Nous emmenions le casse-croûte dans les sacoches et à l'arrivée, maman le déposait avec la bouteille dans un coin au frais quand, soudain, on voyait un ragondin venir flairer notre garde-manger. Nous repartions en fin d'après-midi rafraîchis et contents. Nous faisions souvent une longue route à bicyclette car la bicyclette était pour beaucoup de gens comme nous un moyen de locomotion et non un loisir comme aujourd'hui.

 

Mon grand-père pêchait à la talmoche (la talmoche est le nom local donné à la vermée). La talmoche est une technique traditionnelle de pêche à l'anguille. Très simple, elle se pratique sans hameçon, l'anguille ne tenant au bout du fil que par le seul effet de sa bonne volonté. La talmoche offre la meilleure rentabilité : matériel peu coûteux, esches gratuits et généralement prises abondantes (tout au moins quand mon grand-père pêchait à Painfont). L'astuce, c'était la ligne. Il fallait que cela se fasse fil tendu, au fond, surtout ne pas "ferrer" (il n'y a pas d'hameçon) mais remonter doucement la boule de vers que l'anguille s'acharne à mordre. La tradition exigeait qu'une fois sortie de l'eau et pour éviter qu'elle y retourne, l'anguille soit déposée dans un parapluie ouvert retourné. C'est pourquoi, j'étais toujours intriguée de voir mon grand-père, même par beau temps, avec un grand parapluie ouvert.





Quand j'étais enfant, nous allions souvent, dans les années cinquante, à Bel-Air-de-Combrée où résidait mon grand-père quand il n'était pas dans sa maison d' Epileur, près de Redon. Bel-Air était une cité minière qui n'est pas très loin de la Mayenne mais l'activité ardoisière a totalement disparu. Lorsqu'on allait voir mes grands-parents à Bel Air, nous prenions le car à Angers, un car Citroen que tout le monde baptisait le car "Citron".
 
Chaque maison dont celle de mon grand-père avait un petit jardin avec un verger de pommes à cidre. Au début de l'hiver, devant chaque porte de maison, il y avait là un petit tas de pommes à cidre et le pressoir ambulant passait de maison en maison pour faire un cidre "maison". Il était un peu rude au gosier mais mes parents qui aidaient à la fabrication du cidre rentraient à Angers avec quelques bouteilles pétillantes. Quelques fois, il arrivait que la pression du gaz dans les bouteilles faisaient sauter les bouchons des bouteilles de cidre dans le car "citron", ça devenait du "citron au cidre !".

L'ambiance était particulièrement joyeuse dans le car et "bon enfant". Le chauffeur montait d'abord les bagages sur le toit et les bagages étaient hétéroclites en ce temps-là, les gens n'ayant pas de voiture transportaient beaucoup de choses... des choses quelques fois bizarres quand ce n'était pas les paniers de victuailles ou de volailles qui encombraient le couloir.

Les voyageurs parlaient fort dans le car et se communiquaient facilement, quelquefois même, ils s'invectivaient ; bref, ils communiquaient beaucoup plus facilement qu'aujourd'hui. Le chauffeur s'arrêtait souvent (généralement dans toutes les communes traversées) et s'il y avait un café en face l'arrêt (et, généralement, il y en avait un), il s'octroyait un petit verre ce qui l'émoustillait un peu. 


Souvent, les voyageurs s'impatientaient et râlaient car le chauffeur s'accordait un peu trop de liberté sur l'horaire pendant qu'il bavardait près du zinc. Celui-ci reprenait ensuite gaillardement sa place en prenant ses voisines à témoin qu'un petit verre ne pouvait pas faire de mal aux vivants.

Un écriteau dans le car mentionnait "qu'il était interdit de parler au chauffeur" mais le chauffeur lui-même ne se privait pas de parler aux voyageurs des premiers rangs car il avait la faconde facile. Enfin, c'était l'époque héroïque des voyages à Bel-air en car "Citron" !






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